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Tchad : au-delà des capacités opérationnelles, l’urgence de consolider une viabilité financière (2/4)

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La principale fragilité du Tchad, comme celle des autres États membres du G5 Sahel[1], est sa vulnérabilité structurelle face aux fluctuations économiques mondiales. En effet, même si le Tchad compte désormais parmi les États producteurs de pétrole depuis 2003, l’augmentation du produit intérieur brut par habitant (de 497 dollars environ en 2001-2002 à près de 970 dollars en 2014) n’a guère profité aux populations. Malgré des progrès enregistrés avec un taux de pauvreté nationale qui a baissé de 55 % à 47 % entre 2003 et 2011, de nombreux citoyens tchadiens continuent de souffrir de privations domestiques[2]. Du reste, selon les projections de la Banque mondiale, la pauvreté risque de s’aggraver en raison de la crise économique et financière à laquelle le Tchad est confronté depuis 2014 consécutivement à la chute des cours du brut. Le nombre de pauvres devrait ainsi augmenter de 4,6 à 6,3 millions de personnes entre 2012 et 2019[3]. Les effets du déclin persistant des prix pétroliers sont perceptibles dans les domaines politiques, socioéconomiques et sécuritaires.

Idriss Deby, président du Tchad. G5 Sahel. Les Yeux du Monde.
Idriss Deby, président du Tchad.

Une situation économique tchadienne qui s’appesantit sur la vie politique et sociale

Au niveau politique, l’enlisement économique du Tchad est à l’origine du bouleversement du calendrier électoral national. C’est ainsi que, pour des raisons financières, le Président Idriss Deby va en février 2017 se trouver dans l’obligation de reporter sine die les élections législatives alors que le mandat des députés avait pris fin depuis mars 2015[4]. L’Assemblée nationale va dans le même temps voter la prorogation du mandat des maires en février 2018 en invoquant le même motif du manque de moyens financiers[5].

Au plan social, la dégradation de la situation économique commence à se faire sentir. Le renchérissement du coût de la vie suite aux mesures d’austérité adoptées par les autorités pour juguler la crise est à l’origine de mouvements sociaux amplifiés par l’incapacité du gouvernement à assumer ses engagements vis-à-vis de ses populations. De nombreux syndicats à l’instar du syndicat national des enseignants et chercheurs du supérieur (SYNECS) appellent en effet depuis janvier 2018 à une grève générale de différentes branches du secteur public pour, d’une part, réclamer la régulation financière de 31 000 fonctionnaires impayés pendant les mois de janvier et février 2018 et exiger, d’autre part, l’annulation du décret issu de la loi des finances 2018 portant réduction des primes et des indemnités qui concerne 1700 enseignants[6].

Malgré une relative accalmie, le climat sociopolitique au Tchad repose encore sur un équilibre instable enclin à empirer à la première occasion. Ce relatif équilibre demeure sous réserve que le gouvernement exécute les accords conclus au mois de janvier 2018 avec la plateforme intersyndicale relativement au versement des salaires non payés du mois de février 2018, et assure l’application d’un moratoire de trois mois (février, mars et avril) par les banques sur les prêts contractés par les fonctionnaires[7].

Un malaise qui touche également l’armée, pierre angulaire du régime tchadien

D’un point de vue sécuritaire, les opérations extérieures du Tchad sont de manière générale onéreuses. Le coût du déploiement des Forces Armées Tchadiennes intervenant au Mali (FATIM) en 2013 estimé à 57 milliards de F.CFA (soit près de 90 millions d’euros) ou le montant total des opérations menées contre Boko Haram au Cameroun et au Niger en 2015 évalué à 4,8 milliards de F.CFA (environ 7 millions d’euros) par mois pèsent lourd sur les finances de l’État obligeant, de ce fait, les autorités à procéder à des réajustements budgétaires. Ainsi en 2015 par exemple, les dépenses courantes passent de 720 à 770 milliards de F.CFA (équivalent respectivement à 1,1 et 1,2 milliards d’euros)[8]. La diminution du fardeau financier de l’État avec la prise en charge du contingent tchadien de la MINUSMA par les Nations-Unies ainsi que l’allègement de la dette de 1,1 milliard de dollars au titre de l’Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE)[9] n’empêchent pas pour autant les autorités de nourrir le sentiment que le Tchad ne retire pas assez de dividendes de sa politique étrangère autant qu’il aurait pu en escompter.

Un sentiment de malaise relayé par le Président Idriss Deby rappelant que « Nous sommes allés au Mali pour empêcher ce terrorisme (le djihadisme, NDLR) de s’étendre au sud du Sahara (…) nous nous sommes engagés avec tout ce que cela suppose comme conséquences sans demander de contrepartie ». Il poursuit, « Le Tchad est un petit pays qui n’a pas de moyens, qui a connu d’énormes problèmes dans son histoire récente. Il est donc du devoir de tous ceux qui ont plus de moyens de l’aider sur le plan militaire, matériel, logistique, financier. En dehors de renseignements de temps en temps, de formations, depuis notre intervention au Mali, au Cameroun, au Nigéria, au Niger nous n’avons pas été soutenus sur le plan financier. Le Tchad a déboursé sur ses propres ressources plus de 300 milliards de F.CFA (environ 460 millions d’euros) pour la lutte contre le terrorisme sans un soutien quelconque de l’extérieur. Jusqu’à aujourd’hui nous sommes seuls dans cette lutte[10]».

En tirant ainsi la sonnette d’alarme, Idriss Deby, sans l’expliciter clairement, semble faire référence aux potentielles conséquences que pourrait générer la pression financière que subit son pays. En plus de la grogne sociale qui s’élève de plus en plus, les mouvements d’humeur s’étendent désormais au sein de l’armée, la pierre angulaire de l’édifice politico-institutionnel sur lequel repose son régime[11].

Les auteurs

Stéphane Bertrand Andenga est analyste au sein du 2r3s (Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel) et doctorant à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC).

David Vigneron est Secrétaire général du 2r3s (Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel) et docteur en géographie.

Ezept Valmo Kimitene est expert associé au 2r3s (Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel) et docteur en géographie.

Sources

[1] Les autres pays du G5 Sahel occupent d’après le rapport du PNUD sur le développement humain de 2016 les rangs suivant : Mauritanie (156/188), le Mali (179e/188), le BurkinaFaso (183e/188), le Niger (188e/188),pour plus d’informations :https://www.agenceecofin.com/economie/2403-45994-le-classement-des-pays-africains-dans-l-edition-2016-de-l-indice-de-developpement-humain-du-pnud

[2] Banque mondiale au Tchad, http://www.banquemondiale.org/fr/country/chad

[3]Ibid.

[4]AFP, « Tchad : Idriss Deby Itno reporte la tenue des élections législatives par manque de moyens », Jeune Afrique, le 3 février 2017, http://www.jeuneafrique.com/400016/politique/tchad-idriss-deby-reporte-tenue-elections-legislatives-manque-de-moyens/

[5]N’DJAMENA 24, « Tchad : prorogation du mandat des conseillers municipaux de douze mois supplémentaires », 27 février 2018,http://ndjamena24.fr/tchad-prorogation-du-mandat-des-conseillers-municipaux-de-douze-mois-supplementaires/

[6] CRÉTOIS J. et BÉRENGER V., « Mouvement social au Tchad : « un accord transitoire » signé entre la présidence et les syndicats », Jeune Afrique, le 15 mars 2018, http://www.jeuneafrique.com/542514/societe/mouvement-social-au-tchad-un-accord-transitoire-signe-entre-la-presidence-et-les-syndicats/

[7]Ibid.

[8] Cf. la Loi n° 022/PR/2015 du 05 janvier 2015 portant budget général de l’État pour 2015, 1er juin 2015, pp. 3-4, cité par TISSERON A.,Op.cit., p. 13.

[9] Grâce au lobbying exercé par la France auprès du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale.

[10] LAGNEAU L., « Le Tchad menace de revoir ses engagements dans les opérations militaires menées en Afrique »,Opex 360, http://www.opex360.com/2017/06/26/le-tchad-menace-de-revoir-ses-engagements-dans-les-operations-militaires-menees-en-afrique/

[11] AFP, « Tchad : d’ex-Casques bleus dénoncent le non-paiement de leur salaire »,Jeune Afrique, le 09 juin 2017,http://www.jeuneafrique.com/446336/politique/tchad-dex-casques-bleus-denoncent-non-paiement-de-salaire/

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